Le jour se décline lentement, s’étire derrière l’horizon. En pleine ville, le monde se renverse sous un chant inconcevable, celui d’une planète lointaine. Saturne se loge dans quatre corps, quatre êtres perdus sous la plume de quatre auteur.es. Un défi relevé même si nos oreilles en saignent.
Nous étions toujours seules lorsque tu racontais tes histoires d’oiseaux vengeurs et de perles enchantées. Tes yeux devenaient grands, ronds. Ta bouche tenait en son coin un sourire difficilement dissimulé. Il aurait fallu rester ainsi, nos petites mains tricotées serrées
À imaginer les différentes galaxies du ciel nocturne
Il m’arrive d’être prise d’une nostalgie soudaine, en manque d’un temps révolu, trop beau même pour avoir existé. Je me demande parfois si je réussis aussi à peupler tes rêves la nuit. Tu as toujours su m’amener dans tes univers aux mille couleurs, des mondes parallèles secrets à toi.
Alors qu’ici, en ville, la grisaille s’appuie sur mes épaules
Me souffle des paroles qu’il faut ignorer
Je regarde dans les rues pour croiser ton visage
Au lieu de te voir, un homme me fait des signes étranges. Il est mieux de se refermer sur soi-même. D’oublier tes récits magiques et ton effacement. Redonner à l’enfance ce qui appartient à l’enfance
Sans plus
Et pourtant, ce son
Ce bruit qui me chatouille comme tes longs cheveux dorés me chatouillaient
Le soleil décline à l’horizon
Entre chien et loup, tu disais
Une luminosité qui se tient entre toi et moi
Je me suis demandé quelle soeur j’étais. La chienne ou la louve? Déjà, ton regard glissait ailleurs. Je n’ai jamais su te rattraper.
Ma main se serre contre la ganse de ma sacoche. Ce son, il résonne entre les gratte-ciels du centre-ville. Je m’arrête dans ma marche. Des gens me bousculent par derrière, puis me contournent. C’est beaucoup trop fort pour n’être qu’un autre de mes acouphènes. J’essaie de trouver le chantier de construction qui pourrait produire un tel orchestre cacophonique.
Suis-je la seule à l’entendre? Les passants continuent leur route. Un bras effleure mon dos. Je me retourne en vitesse. J’étais certaine que c’était toi.
Un frisson s’agrippe à mes cuisses
Je me mets à courir à
Me faufiler entre les corps
Le son sourd grandit
Il s’amplifie, vibre jusque dans mes ongles
Et je suis convaincue qu’il t’appartient! Que c’est ta voix. Ton chant perdu depuis les différents mondes parallèles que tu m’as fait visiter. Je cours sans savoir où je vais. J’ai besoin d’air. Il y a un vacarme dans la ville dans ma tête et je perds la raison je crois que c’est ta voix il faudrait taire ce chant que je puisse respirer à nouveau
J’aboutis au port
À l’ouest, l’orange mauveté
Des nuages qui nous cachent du ciel
Entre chien et loup, tu disais
Il faut mieux regarder
Pour ne pas manquer les lucioles devenues fées
Une bouffée de vent humide. Mes tympans brûlent. La sueur me colle sur le front. J’allume mon cellulaire. Je connais ce son. Il m’est familier. Je pense qu’il vient de toi mais
Une planète
Tu m’avais parlé d’une planète
Je retrouve la vidéo sur Internet. Ça joue en double. Deux bruits, deux planètes. Je ferme les yeux. Sors de ma transe. Éteins le cellulaire. Petit doigt qui tremble.
On aurait pu croire à une invasion
C’est une chanson de fin du monde
En arrière-plan, innocente et perfide
J’ouvre ma sacoche et y plonge la main. Je retrouve aisément ce petit porte-bonheur, ce bracelet de petite fille où pend un coeur rose déteint. Meilleure petite soeur est gravé derrière. Je m’approche du fleuve, là où il n’y a pas de bateaux, il fait trop sombre pour distinguer les reflets de l’eau. J’échappe ton cadeau dans le néant.
Il faut lâcher prise
Le soleil disparaît derrière le fleuve. La musique s’arrête brusquement, comme si on avait coupé le son. L’orchestre a obéi au silence imposé par son chef. Je soupire, une chaleur dans la poitrine.
Je me retourne et tombe sur des touristes abasourdis. Tout près, trop près, une femme a le visage recouvert de larmes. J’aurais pu croire qu’elle m’attendait. Elle tient un cahier serré contre elle, les yeux rivés aux étoiles. Je me dirige vers le métro. Retourner chez soi comme si de rien n’était, le sac juste un peu plus léger.
Contrairement à toi, ma soeur, je n’ai jamais pu devenir saturnienne.
___________________________
Lire les autres parties de cette oeuvre collective Il faut se rendre à l’heure bleue :
Partie 2 | Partie 3 | Partie 4
Candidate à la maîtrise en création littéraire à l’Université du Québec à Montréal, Élise Warren aime les chats, est féministe et souhaite devenir une sorcière. Cofondatrice de la revue Saturne, Élise rêve de pouvoir consolider tous ses intérêts (magie, dessins, écriture et féminisme — et chats) dans un même emploi (mais elle cherche encore).