Première
·
par
Laurence Bertrand
poésie
—
chasser la lumière

Prêtres
j’ai tant vu en soixante-dix ans
vos gradins des frissons d’étoiles nauséeuses
vos épaules tachées
de messes liquides
j’ai vu vos manches entrouvertes tels des canons
remplies du sable des rires d’enfants
votre bouche parfumée
en bouquets de croisades
fermée comme les tombes
•
Je vous ai écoutés
chanter vos reflets aux chrétiens
piétinés sous un matin uriné du soleil
vous qui toute ma jeunesse faisiez entrer le vin par les sacristies de vos lèvres
les fenêtres de vos corps
pendant que les oiseaux
planaient
semblables à des avions terroristes
les horizons s’apparentaient aux drapeaux en berne des chiens aboyaient
la neige
le vent se raclait
la gorge
je regardais les fillettes en silence
des travailleurs couraient vers les usines mangeaient l’aube ces couples d’amoureux
tous des hommes avec des femmes
le parc se sentait abandonné
comme elle et moi aujourd’hui
les poteaux de fils électriques debout
se tenaient courageusement la main eux
•
Quand j’étais petite fille j’ai entendu
vos sermons s’agenouiller dans mes oreilles
vos toux pleines de cendriers de fatigue
des rires cognaient sur les portes de vos dents
mais ne voulaient pas
sortir
ce soir j’entends les balustrades de vos premières moqueries
envers nous deux
son chapelet asphyxié à elle
dégringole
•
Je me suis tellement confessée en soixante-dix ans
je devrais maintenant crier mon aveu
aux nuits
ensanglantées par vos voix aux couvents et dortoirs des chairs
aux toits ressemblant au loin à ses jambes de femme
croisées
prêtres
pourquoi ignorer mon péché vos yeux injectés de fumeuses prières
vous me fixez à travers les cathédrales
si hautes qu’elles boudent le sol vomissent leurs clochers ne sont que des fusils mosaïques d’étourdissements votre richesse transpire
me laisseriez-vous
révéler
ma première vraie amoureuse
•
Permettez-moi de glisser
entre les parloirs
décoiffés par vos fausses larmes entre vos pensionnats autels d’habitudes
les rangées de bancs d’holocaustes
permettez-moi de toucher
sa magie difforme où poussent des aurores de tremblements
ricanent des statues
ankylosées
oui
effleurer ses nus châteaux
ne vous détournez pas
laissez-moi raconter
l’ecchymose de la lenteur recrachant
ce qui nous appartient pour la première fois
vous ne pouvez comprendre ses hanches plus lisses que vos soutanes
ses ciels étourdis et sourds
en miettes d’hosties
laissez-moi avaler
sa bouche d’avalanches
d’émeutes
lécher les catacombes
de sa peau ridée aussi noire qu’un tunnel
où chancellent les trains fiévreux
•
Je peux vous jurer qu’après l’amour
des trafics de lumière polluent ses veines
les algues d’engourdissements éclaboussent ses longs cheveux
cordages ne pêchant rien
l’âme poignardée de sommeil
je suis une cenne n’ayant jamais eu sa chance
au bord de mer de ses sourires
nos lèvres se gonflent du hasard des carambolages
mes doigts d’éclipses murmurent son égarement osseux
son haleine fait résonner son pays natal
pays antillais
rauque disparition d’un trésor elle brille
sous mes mains d’hospices
observer les attentats crucifiés à nos ongles
nos seins demeurent des pygargues
et ma bouche un avion
atterrissant en cas d’urgence
nos volcans doivent toujours attendre
•
Notre mémoire coupe à blanc
dormir en boulets de canon
extrême-onction des soupirs lumineux
notre innocence gondolée
•
Mais nous craignons encore de vous entendre
braconner nos rêves en brindilles
vous jouez avec les couvre-feux des paupières
crachez sur nous vos monastères en sueur
l’aimer
je souhaiterais que ce soit
un geste aussi banal
que de signer le livre des condoléances
à vos salons funéraires
•
Prêtres pardonnez-moi
car nos paroles sont lourdes de cailloux
jetés
sur les bûchers de nos corps
je suis désolée qu’elle et moi salivions de mensonges
envers nos familles
nos valises refaites ont le poids des pierres tombales
nous nous exposons chaque jour aux balcons des regards
aimons ces chambres hésitantes où apprennent à se taire nos cachettes
nous rêvons d’une plage plus belle
que les peurs d’adolescentes
trop grandes pour rester parmi nos têtes
en raison de vos cloîtres je dois plutôt
la laisser partir
comme la couleur fugue des aurores boréales
Laurence Bertrand
Laurence Bertrand est née à Québec et elle étudie à l’Université Laval au baccalauréat en Études littéraires, concentration Création littéraire. Depuis quelques années, elle écrit de la poésie: elle a publié au Crachoir de Flaubertainsi qu’à la revue d’art Le Sabord. Laurence a également été récipiendaire de la bourse Hector-De Saint-Denys-Garneau. Elle est finaliste au Prix Piché de poésie.
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