Emmanuelle Riendeau, official jeune autrice à surveiller en 2019 selon Plus on est de fous, plus on lit!, fait beaucoup parler d’elle depuis la parution de son tout premier recueil, Désinhibée. Paru aux Éditions de l’Écrou en avril 2018, il est impossible d’oublier l’impact de la poésie de Riendeau sur la scène montréalaise et féministe. Sexe, colère, alcool et littérature donnent le ton à ses poèmes qui s’enchaînent et se calent comme des shots.
Dans Désinhibée, on lit les diatribes d’une femme «mise à mort, vivante à perpétuité» (p.66) qui se débat tant bien que mal pour survivre dans un monde où la place des femmes reste encore à déconstruire – et reconstruire. «Basic babe» et femme de lettres, la cohabitation de ces identités ne peut se faire sans être drunk, anesthésiée par le sexe et l’alcool. Clash de classes qui s’écoule sur la page, righteous anger féminine comme une prémisse à la «Lettre à Daria», parue sur Les Filles Missiles tout récemment. Après ce refus de filiation à Daria Colona, les vers de Désinhibée nous apparaissent sous un autre jour. «[R]egardez-nous ne rien dire / en times new roman caractère 12 / interligne et demi», puisque le réseau universitaire n’est pas pour toutes—les privilèges ne sont pas pour toutes. Des vers à tout casser, donc, qui nous pognent direct dans les tripes, qui mettent le doigt sur la blessure, celle que l’on fourre, celle que l’on renie, celle à qui on refuse le droit à la putasserie, mais qu’on s’approprie tout de même, no fucks given.
Désinhibée, donc, c’est la voix d’une femme qui s’élève à travers le brouhaha des bars. La lourdeur des propos tantôt poignants d’émotion, tantôt laissant poindre des bribes de rage, est toutefois balancée par une maîtrise de la voix narrative et un ton humoristique parfaitement dosé. Désinhibée laisse ainsi la place au simple plaisir de la lecture, comme dans le poème «Femme à la chambre tamisée»: «[…] cellier éphémère / ma bouche conserve les traces / des pastilles de dégoût / for sure je suis down / pour un dude / aromatique et charnu / what about demain / un fuckboy / léger et floral / un amant / corsé et complexe […]» (p.77).
Les mots d’Emmanuelle Riendeau traduisent avec une clarté impressionnante la réalité de celles qui baisent pour oublier et qui boivent pour mieux baiser. Forte d’une rhétorique de claque sur la gueule, langoureuse et dangereuse, la poésie de Riendeau nous attaque à coup de gut feelings du début à la fin. Par la voix de celle qui a de «good old stories behind [her] snatch» (p.63), mais qui écrit «pour toutes [l]es filles battues / par l’amour et le fake / pour [l]es guédailles sororales / à moitié crevées / décantant lentement / dans le bain mousseux / de nos dépression nerveuses / de nos psychoses inavouables» (p.47), la filiation entre femmes se créé au fil de références intertextuelles avec Josée Yvon, mais aussi grâce aux nombreuses références à la culture pop. Profondément inscrite dans sa génération, s’amusant de la polysémie permise par toutes ces références, la poète s’attaque à l’institution universitaire, au slut shaming et à une société qui cultive l’idée que baiser et boire invalide l’intelligence des femmes.
Lecture obligatoire pour tous les machos de ce monde, stickers «coup de cœur» all over; à lire et relire jusqu’à plus soif.
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RIENDEAU, Emmanuelle, Désinhibée, Montréal, Les Éditions de l’Écrou, 2018, 96 pages.
Geneviève est candidate à la maîtrise en études littéraires à l’UQÀM, sous la direction de Lori Saint-Martin et en affiliation avec l’IREF. Ses recherches portent sur la notion de sujet, ainsi que sur la narratologie féministe et les codes de l’érotisme noir.
Elle est aussi cheffe du pupitre littérature pour l’Artichaut magazine depuis 2018 et fera partie du comité pour le numéro papier annuel pour la seconde fois au printemps 2020.