Plus je réfléchis, plus je m’embourbe. Il y a quelque chose d’absent en moi. J’écris, et soudain mon coeur parle. C’est un peu grossier, mais très poétique. J’accumule les images et les états d’âme. J’existe, le texte existe, j’existe à travers le texte.
Quand j’essaie de créer quelque chose qui se veut «bien», pour un concours, par exemple, je m’efforce d’écrire de façon cérébrale. C’est plus lourd. Je ne m’amuse pas. Je recherche la fierté, l’éloquence, j’essaie de faire briller mes connaissances littéraires, de prouver que je suis une universitaire de niveau!
Quand j’écris de la poésie que je n’ai pas l’intention de publier, c’est le contraire. Il me faut la cacher, je ne veux pas qu’on voie ce que je suis. Je souhaite me protéger, mais aussi protéger mes proches. Ne pas les vexer. Ne pas montrer que je suis blessée. Garder les cicatrices à l’intérieur, dans la cage thoracique: lieu de la naissance même des émotions, de la peine, de la trahison, des découragements perpétuels. Ma poésie doit rester personnelle, ma sensibilité aussi. Car il y a quelque chose de fondamentalement inhumain en chacun de nous, même chez les êtres qui prétendent nous aimer, et c’est ce que je dois dissimuler. Garder une zone de respect.
J’ai assisté à une lecture publique où les femmes poètes mettent leur coeur sur la table. Elles inventent des mots qui portent et qui dérangent. On sent qu’elles sont envahies par le flux d’une vie qui est trop exigeante, qu’elles s’y perdent, qu’elles vont se noyer, c’est certain. Ce sont pourtant des femmes d’expérience, mais on les sent à la dérive comme de petites filles. Elles ne cherchent pas d’aide, non, elles ont seulement besoin d’affirmer leur mal-être, leur lassitude, leur désenchantement.
Les hommes ont une voix, nul besoin de la trouver. Une voix qui est là, accessible, facile à utiliser, facile à prendre. Le monde leur appartient.
La différence réside dans le choix des mots. Pire, la différence est dans le cœur même des mots, parce que depuis toujours, le masculin l’emporte. Il va de soi que le féminin soit en constante suppression, et que les femmes qui écrivent se retrouvent face à une émotion crue, sans support approprié, sans forme apparente.
J’écris dans une langue qui refuse d’affirmer ma présence au monde.
Est-ce que ça veut dire que quand j’écris, je m’efface?
Lorsqu’il est question d’écrire pour un concours ou d’écrire pour soi, une nuance importante s’impose. D’un côté, en préparant un texte pour séduire, ou pour convaincre, je suis dans le rêve diurne, c’est-à-dire dans la rêverie, le désir de réussite et la projection dans l’avenir. De l’autre, en écrivant pour moi-même, je suis dans le rêve nocturne, celui qui nait du sommeil ou de l’inconscient, et qui se déroule sans acharnement, sans que rien ni personne ne l’arrête. Je vais au bout du rêve, peu importe qu’il soit décousu ou non, qu’il soit intéressant ou non, qu’il ait une fin ou non.
Contrairement au rêve diurne souvent guidé par un besoin de reconnaissance, le rêve nocturne n’a aucune capacité de projection. Ce sont les individus qui se projettent. Or, il faut savoir que les vrai.es poètes sont libres. Dans Le carnet d’or, Doris Lessing affirme que «[…] les éclairs d’art véritable proviennent d’une émotion intime profonde, absolue, impossible à dissimuler». Peut-être dois-je en convenir que l’unique moyen de trouver ma voix, c’est d’accepter l’absence qui m’habite quand j’écris, disposition essentielle à l’activité créatrice. Être sans contrôle et sans artifice.
Guylaine Bouchard a fait des études en littérature à l’Université Laval. Son mémoire de maitrise portait sur L’inscription du premier roman au féminin dans la littérature québécoise. Elle aime lire, écrire, enseigner et rêve depuis toujours d’égalité (réelle) entre les sexes.