Ton corps qui brûle sous mes pieds me rappelle sans cesse. Il est plus présent, semble-t-il, mort que vivant.
Incandescent. Il me happe, me traque. Il me croque de sa chaleur hurlante. Il me repousse autant qu’il me fascine.
À travers ce brasier qui s’élève, des papillons de cendre se déploient et tourbillonnent comme une grande colonne. Ils s’envolent, légers, de ce gisant déjà presque disparu.
La carcasse d’écorce qui protégeait jadis, pour un temps, ton temple de quiétude prend feu de toute part. Le bois craquelle sous les flammes, puis une odeur de fumée, une chaleur écrasante, et tout s’accélère. De leurs langues fines et aiguisées, les flammes embrasent ton refuge, embrassant au passage tout ce que tu as été. Un père, un frère, un fils, un amant, un ami, un cousin. Un parrain. Le soleil de plusieurs vies.
Ton visage se déforme au rythme du souffle de la fournaise en un sourire inquiétant. La peau se boursoufle et, chargée de cloques dégoulinantes, se noie dans sa propre disparition. Il était temps que tout se fonde en cette figure avant que la mort ne la gâte. Elle est à présent figée comme une statue de cire dans ma petite galerie de portraits. Aucun incendie ne pourra la détruire, la gâcher, l’altérer tant elle y est ancrée.
Tombée au tombeau, la chair crie, tire, ploie et tombe. Une enveloppe de soie que les vers n’auront pas. Décharné, un squelette est-il plus libre de ses mouvements? Que reste-t-il quand il n’y a plus de restes? Une criante humanité, une poussière de nuage qui éclatera et viendra grossir le lit des rivières. À un moment donné tout coulera, mais pas maintenant, car ici c’est la lave qui dissout le cœur.
Un cœur lavé par la chaleur. Une étincelle de toi qui prend de l’ampleur, qui se gonfle et se déchaîne à mille degrés de moi. Un brasier ardent qui ne tarit jamais pendant les quatre-vingt-dix minutes que dure ta délivrance, où couche après couche tu passes de l’être au néant.
Corps. Âme. Cœur. Esprit. Essence.
Ton entièreté réduite en cendres.
En calcaire que l’on casse,
en craie que l’on écrase,
en poussière que l’on recueille,
pour les remettre au monde.
Sur une mer d’huile illuminée par le soleil, un bateau s’arrête, chargé de fleurs et de larmes. À son bord, les sirènes chantent tes louanges en te berçant de leurs mains tendres et délicates avant de te laisser partir.
L’urne coule lentement,
rejoignant les profondeurs de la mer
et de nos cœurs.
L’urne coule lentement,
ravivant la douleur de ta mère
et de tes sœurs.
Les pétales dansent à la surface de l’eau. Le soleil se couche. Les paupières se ferment pour écouter le vide, lever l’ancre et repartir, plus légères.
Issue d'une double formation en lettres et en arts du spectacle, Estelle Bourbon a complété une maîtrise en littératures de langue française à l'Université de Montréal, avec pour champ de recherche le théâtre intermédial, l'adaptation théâtrale et l'ensemble des perceptions multisensorielles, notamment dans le théâtre immersif. Elle collabore à la revue JEU et s'amuse à être www.lapoupeequifaitnon.net.