Comme chaque matin, les piqûres de punaises de lit qui couvrent ton corps te réveillent. Tu aimerais être assez forte pour en rire, mais tu en pleures, abondamment. Tu t’étales sur le sol et tu attends que quelqu’un vienne te sauver, jeter ton lit, laver tes affaires, désinfecter l’appartement entier. Les mains jointes sur le matelas moucheté de ton sang, tu pries pour que quelqu’un se plie en quatre et que ce ne soit pas toi, s’il vous plaît.
Les jours de canicule, ta coloc et toi vous partagez la douche, l’une après l’autre courant dans la baignoire pour un rapide jet d’eau froide avant de retourner tremblante et électrisée dans sa chambre respective, la respiration coupée et les pieds glissant lamentablement sur les lattes du parquet. Au bout de quelques heures, vous renoncez à tout semblant d’intimité et vous vous croisez complètement nues, les yeux hagards et les cheveux trempés, échangeant un hochement de tête poli. Tu essayes à tout prix de garder ton regard à la hauteur de son cou, mais tu aperçois un mamelon. Tu te corriges, le corps des femmes n’est pas à sexualiser, un mamelon est un mamelon est un mamelon est un mamelon, et tes joues brûlent à peine quand tu cours te réfugier dans l’humidité de la salle de bain. Tes mamelons sont dressés, mais ils ne te font pas le même effet, ta vie serait plus simple autrement, ta colocation plus appropriée. Tout en évitant les miroirs, tu prends rapidement une douche avant de te laisser tomber dans ton lit, au-dessus des couvertures.
Tu as peur de t’évaporer, mais ton corps est grossièrement présent, dans toute sa chaleur, sa transpiration, son âpre moiteur. Ton boxer trempé contre tes parties génitales emplit l’air d’une odeur de chatte qui te satisfait sordidement. «La meilleure chose que tu mangeras», mentait la propagande lesbienne. Tu restes sur ta faim. Il est l’heure d’un nouveau jet d’eau glacée.
À ton retour dans ta chambre, ta coloc se poste contre le chambranle, une simple suggestion dans l’arc de ses sourcils. Ton sexe cède sous le déluge, ta mouille si embarrassante, si traîtresse, en tout temps. En l’apercevant dans votre canapé, desserrer son peignoir. Devant le miroir de la salle de bain, triturer son septum. Sur le carrelage de la cuisine, peindre le mur du fond. Elle ouvre la porte de sa chambre et tu la suis désespérément, écartes les jambes sobrement, coules dans ses draps en attendant un doigt qui finalement se glisse en toi, puis deux, puis trois, un poignet, un bras, son corps tout entier plongeant entre tes grands courants, un point sur la mer immense. Tu n’es qu’océan pour son bassin qui ruisselle à tes lèvres, elle s’écoule dans ta bouche et tu bois la tasse pendant que la literie contre tes cuisses s’engorge de ton torrent sans fin. Sa source tarie, elle allume une cigarette qu’elle fume assise sur son oreiller, les sourcils froncés. À cette vue, ta mouille pourrait la noyer.
Sur l’oreiller, ses mèches forment des lettres que tu essayes de déchiffrer, tu cherches un message, une autorisation pour quitter la pièce, un mot d’excuse de ta mère, de quoi retourner dans ton monde, chez toi, où tu peux t’étaler de tout ton long. Ta peau te démange, mais tu n’oses plus bouger. Il est trop tôt pour un verre et pourtant, quand elle se réveillera, elle et ses airs de sorcière ajouteront quelques gouttes de vodka dans un Redbull qu’elle portera à tes lèvres, juste de quoi épancher ta soif, juste de quoi provoquer une nouvelle houle, te donner l’énergie en pleine mer d’enfiler son dildo et de retourner sous sa couette, de la regarder se rouler sur son matelas et d’onduler entre ses reins jusqu’à ce que tu discernes son visage qui se défait et son corps ondoyant sous ta queue. Sa salive compose des poèmes entiers sur l’oreiller, sa peau colle à la tienne, elle agrippe ton poignet et te demande encore, ta bouche l’avale entière et elle te supplie de continuer, son genou forme un angle droit puis un angle étrange et tu ne sais plus où te river pour la baiser comme elle te le demande, plus fort plus vite plus loin, son cum coule entre vos jambes et le lac qui se forme est sans fond, elle est sans fond, tu t’agrippes à la barre pour survivre à cette tempête.
Tu aimerais la regarder fumer, mais elle te demande un café, les appels de son ventre un petit-déjeuner. Les jambes tremblantes, tu lui sers des œufs brouillés au lit en écoutant sa respiration encore pantelante, sans déceler en te rasseyant la moindre goutte de ton sang sur ses oreillers. Tu voudrais te caler contre son épaule tandis qu’elle téléchargerait un film sur un site louche, et tu lui pointerais du doigt les virus qui pop up, ton jeu préféré, un peu drunk, un peu chaleureuse, un peu heureuse, un peu amoureuse. Ton corps emprisonné dans cet été, ce serait toujours l’hiver sous votre couette, vous vous emmitoufleriez sous son manteau rouge aux manches doublées, elle aurait cette coupe au bol qu’elle portait lorsque vous vous êtes rencontrées. Elle aurait renouvelé son permis et elle t’emmènerait au cinéma en te serrant le genou dans la voiture, et sur la route vous badineriez avec des jeux que les gens inventent en voiture, celle qui peut voir un arbre en premier, celle qui choisit la goutte qui descend le plus rapidement sur le pare-brise. Sur ce matelas sans punaise, les possibilités semblent infinies.
Tu t’échappes pour aller goûter à un jet d’eau froide pendant qu’elle se vautre dans les bras de Morphée, les cheveux encore ébouriffés et quelques suçons éparpillés dans son décolleté et sur ses bourrelets. Tu espères qu’elle n’entrera pas dans ta chambre pendant ton absence. Sur ta table de chevet, tu as laissé en évidence une paire d’élastiques, du baume pour les lèvres, une tasse de café, une vieille copie d’un manifeste d’Angela Davis et bien sûr, un god awful dildo fuchsia, comme une débutante. Si c’était elle sous la douche, tu serais déjà en train de fouiller dans ses recueils de poèmes, à la recherche d’annotations ou de quoi que ce soit d’assez croustillant pour en faire un vers, un tweet, une crise de panique. Mais c’est seulement toi sous la douche, penchée sur les replis de ta peau, t’auscultant minutieusement à la recherche de taches brunes gorgées de sang, des œufs en grappes s’agrippant probablement à ton dos. La peau de ta coloc, elle, est aussi douce que la marée basse.
Il fait toujours affreusement chaud chez vous, et allongée en étoile sur le carrelage collant de la salle de bain, tu la regardes uriner accroupie, sans toucher la cuvette, comme sa mère lui a probablement appris. Elle te rejoint au sol pour t’embrasser, t’empêchant de te gratter, de saigner. Son haleine a un goût amer, mais peut-être que ça vient de ta propre salive, de ton propre corps, de ta propre vie. Elle t’entraîne au creux de son lit, et le lendemain, tu l’observes se rhabiller rapidement, se précipitant dans son placard, sortant une chemise puis un pantalon, des chaussettes dépareillées, un boxer aux couleurs effacées. Elle court dans la cuisine, te ramène un café que tu sirotes lentement pendant qu’elle attrape ses chaussures. Elle se penche pour un dernier baiser et tu la ramènes dans son cocon, son petit paradis aux draps immaculés, dénués de toutes taches de sang. Elle embrasse une piqûre sur la peau asséchée de ton coude, insouciante, pendant que tu lui refais ses lacets.
Dans ses draps, tu ne sens plus aucune punaise de lit et tu te convaincs que c’est du passé maintenant, qu’elles ne te sillonneront plus, qu’elles ne t’ont jamais touchée. «Your body is a temple», elle te glisse à l’oreille. Tu souris poliment. Ton corps est une maison hantée.
Lauren contient une multitude de réflexions et d'intérêts, plus drainants les uns que les autres. Son travail peut être lu dans la revue Le Pied, la revue Saturne, et l'Organe. Elle tente d'y décrire sa vie de lesbienne montréalaise, et a pour ambition d'en tirer un jour un dénouement heureux à remettre à la littérature québécoise.