Nue, elle va devant toi avec la fragilité des grands brûlés. Son visage n’en est plus un. Le tien se défait. Ses orbites englobent des lunes de nacre. Sans paupières pour dormir et rêver. Ta honte veut recouvrir ses blessures. Lui donner des vêtements. L’envelopper. Éteindre le feu.
Dans la langue de ses ancêtres, elle te raconte l’histoire du brasier. Les flammes qui l’ont scalpée et léchée jusqu’à l’os. Et son récit crépite de mots calcinés, de cendres vives et de braises animales: «Les enfants inhalent des litres d’essence. Le sérac sue. L’ours blanc se noie, affamé.» Tu entends dire que le génocide perpétue l’inceste. Et que l’identité est un concept. Tu avances une pensée, livide.
Des chamanes la consacrent salamandre, l’installent à l’écart des glaces dans un pavillon fait d’esquifs. Tu anticipes cette désolation: après le feu, intouchable et sans outil, comment pourra-t-elle affronter l’océan et la banquise?
Des femmes viennent laver ses plaies, retirer les cheveux roussis, extraire le pus et la chair nécrosée. L’eau de mer coule sur elle, corrosive. Et c’est toi qui cries. Des soignants recousent ses lèvres et ses paupières, greffent des lambeaux de cadavres sur son corps ulcéré. Tu t’évanouis au milieu d’un millénaire de morts anciennes.
Dans le crépuscule, des aurores boréales ondulent comme voiles au vent et enflamment le ciel de novembre.
Rien ne répare le mal. Pas de doute, on lui avait fait la peau.
Diplômée de l’UQÀM en création littéraire, Chantal Fortier étudie actuellement en études littéraires. Née à Montréal, elle a travaillé dans le milieu médical. En plus d’avoir publié chez Saturne, Les Éphélides et Carte blanche, Chantal a obtenu le prix Sylvie-Brien et a été en lice pour la finale du concours du récit de Radio-Canada en 2019.