Pour la première fois, personne ne me dit quoi faire. Aucun corps étranger à caresser. Aucune peau inconnue sur laquelle faire courir mes doigts. Juste moi. Je dois avouer que c’est un sentiment singulier, presque fascinant. Je ne me suis jamais posé de questions. Les autres savaient mieux que moi. Et pendant longtemps, j’ai cultivé l’illusion qu’ils arrivaient à me comprendre, à mettre en mots, à ma place, ce que je désirais, car il m’était impossible d’y parvenir. Je n’ai jamais supporté d’être seule, abandonnée, démunie. Dépendre de quelqu’un, de n’importe qui en vérité, avait toujours été plus simple et naturel. Et je croyais que c’était ainsi que fonctionnaient les choses.
Je contemple cette personne dans le miroir. Cette fille que je ne connais que très peu finalement et qui me ressemble. Mes mains remontent jusqu’au visage et viennent s’enrouler à l’arrière du crâne. Le bruissement des cheveux sonne agréablement à mes oreilles. Leur texture me réconforte. Je laisse mes doigts se hisser le long de la courbe de ma tête pour en atteindre le sommet, avant de les autoriser à redescendre en suivant les chemins tortueux que les boucles créent. Un frisson me traverse, roule sur ma peau et s’invite sous la surface. Je sens la pointe de mes seins s’animer sous l’influence d’une étrange familiarité. Mes dents pincent mes lèvres tandis que j’hésite. Dois-je aller plus loin? La lueur dans le regard en face de moi m’en conjure. Je cède.
Avec timidité, j’explore les aspérités de mon visage, l’invisible duvet qui habille le dessus de ma bouche. Je m’attarde sur cette dernière, la frôle, la découvre et la considère. Elle a tant fait pour autrui, mais si peu pour moi. M’appartient-elle toujours? A-t-elle un jour été mienne? Ma langue s’échappe et effleure la pulpe délicate de mon index. La sensation me grise tant elle est délicate, agréable, captivante. Je sens comme une forme d’impatience naître dans le creux de mon ventre, mais pour l’instant, je décide de ne pas y répondre. Ces perceptions haptiques me troublent, mon souffle se bloque presque tout à fait tandis que mes mains se rencontrent. J’éprouve avec avidité la moiteur légère de ma paume, qui me semble si moelleuse en comparaison avec son envers, cruellement incisif. Le parcours s’étend jusqu’à mes avant-bras. Je me perds le long de l’arrondi du muscle, dans l’étrange velours du crin blond qui s’étend là, et au creux du coude. Ma gorge s’assèche alors qu’un friselis me grignote les reins.
La fille en face de moi commence à rougir, mais ce n’est pas de l’embarras et encore moins de la honte. Je lui souris, et un peu de buée vient se coller sur son visage. Mes paumes poursuivent leur voyage, visitant le tracé discret de mes clavicules avant de prendre une tout autre direction. Je n’ai pas une petite poitrine, et la gravité y a imprimé sa marque. Je n’ai jamais aimé mes seins, mais lorsque mes doigts empruntent leurs courbes et accueillent leur généreuse rondeur, je leur trouve des qualités. La couleur rosée de l’aréole me paraît mignonne, presque timide, mais je ne dois pas me laisser berner. Cette teinte pêche m’évoque davantage la fleur d’une plante toxique dans laquelle il est possible de s’enivrer jusqu’à ce que (petite) mort s’ensuive.
Je frôle cette couronne avec précaution. Ma respiration se suspend à la lisière de mes lèvres, puis se relâche dans un soupir lourd de promesses délétères. J’inspire au moment même où je m’autorise à tutoyer la pointe déjà tendue de mes seins. Les emprisonnant l’une et l’autre entre mes doigts pour esquisser les contours de mon désir. Je les taquine, les provoque et finalement, les attaque. Je les pince délicatement et aussitôt une pulsation anime les terres qui s’étendent entre mes cuisses.
Ce n’est pas meilleur que lorsque quelqu’un d’autre pose ses mains sur moi. Ce n’est pas moins bon. C’est différent, plus personnel. J’ai le sentiment que mon corps est prêt à me pardonner bien des choses, qu’il est prêt à composer avec mon inexpérience, mais aussi mes humeurs. Je souffle lentement, je n’ai pas envie que cet étrange pouls s’arrête, je veux qu’il dévore mon être. Une de mes mains délaisse alors sa prise pour explorer plus avant les détails de mon ventre. Mes doigts suivent un chemin chaotique, fait de hauts et de bas, de cicatrices et de marques. D’ordinaire, je n’aurais de cesse de me dire que ces vallons ne devraient pas exister, que leur présence entache la glaise de mon enveloppe et qu’ils me défendent l’accès à la beauté tant cherchée. Mais en cet instant, je n’y pense pas. Je suis bien trop fascinée par la chair de poule que mon passage provoque, par la richesse des textures qui rampent sous mes phalanges, par les serments intoxicants que m’offre ce voyage.
À la lisière de mon pubis, j’hésite. La fille du reflet joue lascivement avec la légère toison brune qui recouvre son entrecuisse. Ses pupilles voraces m’appellent et me promettent monts et merveilles. Je ferme les paupières et m’abandonne dans l’instant. La toile rêche sous mes doigts se mue en soie. Mon index, insolent et indolent, s’invite dans les replis de cette fleur voluptueuse. Les creux moites de mes genoux collent au matelas, tout comme le bas de mon dos. Mes jambes faiblissent. La pulsation devient crépitement alors que j’effleure le renflement le plus ésotérique de mon corps. Dans un soubresaut, je retrouve le reflet dans le miroir.
Mes cheveux plaqués à mes tempes, mes joues gorgées de sang. Mes lèvres luisant d’un éclat insatiable. Je me trouve belle. Je me sens bien. J’ai le droit d’accéder à ces délices. Je m’appartiens. Mes doigts titillent encore et encore les braises. Le paradigme de ma langueur change à mesure que j’écoute les réponses que m’offre mon corps. Mon cœur bat tellement vite, tellement fort. Mon cerveau pulse si lentement à mesure que l’étincelle se métamorphose en flamme. Cependant, je suis joueuse. Je m’autorise à étouffer mes ardeurs pour que, par la suite, celles-ci redoublent de vigueur et deviennent fournaise. Il me faut plus. Toujours plus. Mes doigts m’explorent et conquièrent le territoire de mon bas-ventre selon mes caprices, découvrant avec délice les renflements de ma féminité, m’éveillant avec audace à mes plus beaux secrets pour répondre à mes appétences; ils me rendent à la fois cupide et avare.
Finalement, ma gorge se noue. Mon corps se tend. Mes orteils s’enroulent sur eux-mêmes. Un courant d’air frais frôle mon dos moite. Je jouis, seule.
Emily Norsken est une autrice française née le 14 Juillet 1991 en banlieue parisienne et vivant actuellement près de Nantes.
Enfant, elle ne possède pas un excellent rapport avec la lecture qui s'avère être un exercice laborieux. Elle trouve le goût des récits dans les jeux vidéos lorsqu'elle découvre son tout premier RPG (Role Playing Game) en jouant sur la console familiale à l'âge de neuf ans. Coup de foudre, révélation : Emily décide que son avenir sera consacré à la quête de faire rêver autrui à son tour en concevant des histoires.
La lecture s'invite dans sa vie sur le tard. Et, l'écriture arrive peu de temps après au travers de récits collaboratifs puis des jeux de rôles aux alentours de ses onze ans. Avide pratiquante de la discipline, elle y affine sa plume, ses personnages et développe les prémices des thématiques qui lui seront chères. Après des études en Conception Visuelle spécialisé dans le domaine jeux, elle trouve le courage de se lancer dans une pratique plus sérieuse de l'écriture en ébauchant ses premiers romans. Depuis 2018, portée par la communauté d'auteurs Plume d'Argent, découvre de nouveaux horizons, développe de nouveaux projets et ose croire à l’édition.
Son travail se veut inclusif, féministe, avec une relation très personnelle avec le corps, les perceptions mais également les rapports sociaux et familiaux.